La maîtrise du socle commun de connaissances et de compétences et le recentrage sur les fondamentaux sont sur les lèvres de nos gouvernant-es depuis déjà un certain temps. SUD éducation a maintes fois dénoncé cette vision utilitariste au rabais de l'école, pour certain-es, quand d'autres sont socialement programmé-es pour « aller loin », de même que l'hypocrisie d'employer le terme de « compétences », volé aux pédagogies constructivistes dont ces politiques en sont pourtant l'antithèse, puis totalement dévoyé. Si Macron et Blanquer, son ministre de l'éducation, n'ont certainement pas perdu de vue ces objectifs, ils ont choisi de mettre l'accent sur l'apprentissage de la lecture, à travers leur mesure phare, les « CP de la réussite » en éducation prioritaire, aux effectifs limités à 12 élèves par classe. Au-delà de la question de la réforme de l'éducation prioritaire sous Hollande, dont on sait qu'elle s'est faite au prix de l'éjection de nombreux établissements de ces réseaux d'EP, au-delà également de l'annonce de moyens constants (donc au détriment d'autres moyens pour l'éducation) pour mettre en place cette réforme, se posent d'autres questions d'ordre pédagogique : l'apprentissage de la lecture n'est-il l'affaire que d'une seule classe ? La réduction des effectifs suffit-elle à assurer 100 % de réussite (et de réussite à quoi?) ? Quels lecteurs et lectrices voulons-nous que nos enfants deviennent ?
Il y a une corrélation entre ces questions, et les réponses que le gouvernement entendent y apporter sont claires : oui, l'on apprend à lire au CP, tout au mieux les enseignant-es peuvent préparer cette échéance en Grande Section, et colmater les brèches en CE1, puisque ce niveau de classe est supposé connaître également ces baisses d'effectifs en Education Prioritaire l'année prochaine. Comment la Maternelle peut-elle préparer les élèves ? En leur faisant apprendre l'alphabet et travailler la correspondance entre graphèmes et phonèmes, lettres et sons, nécessaire ensuite à l'acquisition de l'encodage, puisque l'apprentissage de la lecture ne semble dépendre que de ça... et voici que réapparaît le spectre de la polémique entre méthode syllabique et méthode globale, dont politiques et médias tenteront une énième fois de prétendre qu'il s'agit d'un débat de technicistes, sans intérêt pour la population. Cela va pourtant bien au-delà d'une simple question de technique, de méthode d'apprentissage : il s'agit de véritables visions politiques et idéologiques antagonistes qui s'affrontent.
D'un côté, une vision ambitieuse de la Lecture, pour toutes et tous, se travaillant à l'école, à la maison, à chaque instant. Cette Lecture, c'est celle de l'implicite, de l'interprétation, de la culture, du plaisir. Elle est faite de langage et de vocabulaire riches. Sa compréhension est complexe pour les enfants, c'est pourquoi elle est intéressante et motivante. Elle forge des esprits critiques en consolidant l'esprit de réflexion. Elle ne se mesure pas par des QCM... d'ailleurs se mesure-t-elle ? Son but n'est pas de façonner des travailleurs et travailleuses aliéné.es, mais des esprits émancipés. Pour ce faire, la Lecture ne se borne pas à l'encodage, elle prend tout ce qui est bon pour parvenir à son objectif. Les sons sont accessoires. Son apprentissage ne commence pas au premier jour de CP, il débute dès la naissance, en baignant l'enfant dans un monde de livres, de lectures offertes (on comprend immédiatement l'importance dramatique des inégalités sociales). Il ne se termine jamais.
Et puis il y a la vision étriquée, le B.A. BA. Celle qui se contente de déchiffrer, de comprendre l'explicite d'un texte simple et sans saveur (une consigne, une notice, que sais-je?). Celle dont les Macron, Blanquer et leur caste nous disent cyniquement que c'est « mieux que rien », mais dont ces élites sociales et amorales ne se contenteront jamais pour leurs enfants. Celle qu'ils ont beau jeu de réserver à l'école publique, puisque leurs enfants n'y sont pas, et puisqu'elles et eux ont droit aux histoires le soir depuis tout.es petit.es. Le vocabulaire ? Bien sûr que c'est important : administrons-leur une leçon par jour. 5 mots devraient suffire, sans contexte et sans intérêt. Cette vision qui sert leurs intérêts, leur fabriquant de futur.es travailleur.ses sachant lire et réfléchir au minimum.
Alors bien sûr, fustigez la fantasmée méthode globale comme responsable de tous les maux de l'école. Sauf que quiconque a pris la peine d'observer les manuels de CP sait que la méthode syllabique la plus pure est depuis longtemps et pour longtemps installée dans leurs pages et dans les classes. Que malgré les discours réacs à base de « l'école et l'orthographe, c'était mieux avant », la tendance est de plus en plus au conditionnement des enfants à encoder d'abord et avant tout, en laissant au second plan l'exigence de l'orthographiquement correct. Nous ne voudrons jamais de cette vision au rabais.